La note Google à deux vitesses, ou comment certains établissements sont désavantagés par rapport à d’autres en termes de réputation

Ca n’est plus un secret pour personne, à l’ère du numérique, les entreprises sont sous l’œil vigilant des consommateurs, et à ce titre, les avis Google jouent un rôle crucial. Ils influencent les choix des clients potentiels et façonnent la réputation des établissements.

Cependant, j’ai récemment identifié une problématique émergente, souvent ignorée, qui mériterait pourtant une attention particulière : c’est ce que j’appelle la note Google à deux vitesses, caractérisé par des établissements qui semblent « dopés » à des notes de 4,9/5 par exemple et un volume de notation énorme, versus des établissements bloqués à 4,2/5 et un volume quasi-inexistant de notation.

Comment peut-on expliquer de tels fossés, pour des établissements dont l’expérience client et la qualité ne sont pas forcément aux antipodes ?

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L’Émergence des Néo-Établissements

Les néo-établissements, ces nouveaux venus sur le marché, qu’ils soient des boulangeries à la mode, des restaurants flambant neufs ou encore des nouvelles brasseries, semblent bénéficier d’un avantage disproportionné en matière de notation par rapport aux acteurs historiques, qui n’est pas seulement lié à l’effet « lune de miel » relatif à leur récente ouverture. Ils tirent profit de deux leviers principaux : l’intégration d’outils digitaux innovants couplée à des stratégies d’intéressement. Et ces deux leviers soulèvent plusieurs questions, notamment sur le plan éthique, que ce soit pour le consommateur, ou pour la concurrence saine dans un marché donné.

Les Outils Digitaux

Le premier levier consiste à utiliser des outils digitaux qui donnent aux établissements une avance certaine en termes de réputation. Jusque là, rien de choquant, il revient à chaque entreprise de mener une veille sur les outils mis à sa disposition, et de les utiliser si besoin. Le problème, c’est lorsque l’utilisation de cet outil favorise un concurrent plutôt qu’un autre, sans que le client final sache qu’il y a un biais statistique lié à cet outil. Je m’explique.

Pour illustrer le propos, on peut évoquer par exemple le paiement à table, une fonctionnalité proposée par des start-ups hyper innovantes dont je salue au passage l’efficacité et l’agilité. Concrètement, au moment de régler l’addition, l’outil de paiement à table invite très simplement les clients à laisser une note à l’établissement, sur les réseaux sociaux ou sur Google par exemple.

En ce qui concerne le process, indépendamment de l’incitation à laisser un avis Google, le paiement à table est une révolution pour la restauration, au même titre que la prise de commande à table ou sur borne de commande, et à fortiori pour des restaurants attablés, n’en déplaise aux sempiternels conservateurs allergique à toute innovation dans des pays tels que la France, et qui font qu’à l’étranger, tout va plus vite, et tout est plus pratique qu’ici. Mais passons sur ce sujet.

Cette technologie de paiement à table enjoint le client à laisser une note de façon hyper simple et hyper intuitive, là où une invitation par le serveur ou le commerçant à laisser une note de façon « manuelle » aurait eu bien plus de chance de rester lettre morte. En effet, il est laborieux pour le client d’aller chercher l’établissement en question sur Google Maps par exemple, publier une bonne note, et pire encore, laisser un commentaire, surtout pour une consommation purement fonctionnelle comme un café ou un croissant par exemple.

Ce type d’outils induit donc une collecte rapide et souvent biaisée des avis, majoritairement positifs. En effet, la commodité et l’immédiateté offertes par ces outils encouragent les clients satisfaits à laisser un retour instantané. Cela crée un afflux de notes élevées qui, bien que légitimes, ne représentent qu’une partie de l’expérience client.

À l’inverse, et c’est là où c’est vraiment pernicieux, c’est que si le concurrent – ou pour faire moins polémique, le commerce voisin – n’utilise pas et outil, il aura non seulement un nombre d’avis très inférieur à celui qui bénéfice de cet avantage, laissant croire au client final qu’il n’a pas de clientèle fidèle et qu’il est donc forcément plus mauvais que l’autre, mais il aura en plus une note héritée de tous les avis publiés de manière volontaire par le client fidèle. Or, nous savons que les avis publiés volontairement par des clients sans facilitation par la technologie sont généralement beaucoup plus critiques, surtout que les avis sur Internet font parfois office de bureau des plaintes.

L’Intéressement

De plus, certains établissements offrent des incitations pour encourager les clients à laisser des avis positifs. Ces rétributions peuvent prendre la forme de codes promo, de produits offerts ou d’autres avantages. Bien que cette pratique soit de plus en plus répandue, et qu’elle soit finalement de bonne guerre, elle soulève des questions éthiques. Les avis ainsi obtenus sont-ils réellement représentatifs de l’expérience vécue par le client, ou sont-ils influencés par la récompense promise ?

Les Établissements Historiques : Un Héritage Pénalisant

À l’inverse, les établissements historiques se retrouvent souvent désavantagés. Ils portent le poids d’une note Google accumulée sur plusieurs années, influencée par une période où les avis négatifs étaient plus nombreux. Avant l’avènement des outils digitaux actuels, les clients mécontents étaient plus enclins à exprimer leur insatisfaction en ligne, créant ainsi un biais négatif dans les notes.

Le Fardeau des Mauvais Avis

Ces établissements doivent donc composer avec un historique de notes qui peut sembler injustement sévère. Contrairement aux néo-établissements, ils n’ont pas toujours accès aux mêmes outils digitaux pour redresser rapidement leur réputation en ligne. De plus, ils sont souvent perçus à travers le prisme de leurs anciens avis, rendant difficile l’amélioration de leur image sans un effort considérable.

Et je ne parle même pas du biais cognitif qui consiste à laisser une bonne note à un établissement dont la note est déjà très élevée, via ce qu’on pourrait désigner comme la « preuve sociale », à savoir que si cet établissement fait fureur, c’est que ça doit forcément être bon, et aller à contre-courant de cela est très coûteux sur le plan psychologique pour le consommateur.

Une Compétition Déloyale ?

Cette dynamique crée une compétition déloyale entre les néo-établissements et les établissements historiques. Les premiers, armés de technologies modernes et de stratégies d’intéressement, peuvent rapidement bâtir une réputation en ligne favorable. Et s’ils héritent d’un mauvais avis, de temps en temps, c’est vraiment qu’il y a un souci avec le consommateur en question, et leur note moyenne reste intacte. Les seconds, en revanche, doivent lutter pour surmonter les biais négatifs accumulés et l’absence d’outils digitaux performants. Et chez ceux-là, c’est l’avis positif qui est en fait un évènement. Lorsqu’ils ont une bonne note, c’est vraiment que le consommateur a adoré l’expérience, et pas qu’il a mis une bonne note pour mettre une bonne note au moment de l’addition en ligne, ou pour remporter un cadeau.

Vers une Solution Équitable ?

Tout cela m’amène à penser qu’il serait bon de repenser le système d’évaluation pour offrir une chance équitable à tous les établissements, avec pourquoi pas les pistes suivantes :

  1. La transparence des avis : Google et d’autres plateformes d’avis devraient exiger une déclaration claire des incitations offertes pour les avis. Cela permettrait de distinguer les avis incités des avis spontanés.
  2. La pondération des avis : Les plateformes pourraient mettre en place des algorithmes de pondération qui tiendraient compte de la date de l’avis, de la fréquence des avis laissés par un utilisateur, et de l’impact des outils digitaux. Ainsi, un avis déposé via une vraie recherche Google, aurait plus de poids qu’un avis déposé de façon laconique via l’intervention d’une application tierce.
  3. L’encouragement des avis spontanés et la sensibilisation auprès du consommateur : Le fait de promouvoir la spontanéité des avis, éventuellement dans la presse, et de sensibiliser le consommateur quant aux avis déposés par des technologies tierces permettraient de rabattre un peu les cartes et d’informer le client final, notamment par les temps actuels extrêmement difficiles pour les commerçants de proximité. Ce serait une sorte d’acte économique citoyen pour aider le commerce de proximité face aux mastodontes qui ont les moyens de s’équiper et de doper aussi bien leur note que la fréquentation de leurs établissements via la publicité et les relations presse.
  4. Le support aux établissements historiques : Fournir des ressources et des formations pour aider mais aussi valoriser les établissements historiques et notamment les « anciens » commerçants (que ce soit l’âge de l’entreprise mais aussi l’âge réel du commerçant) à adopter les nouvelles technologies et stratégies de gestion de la réputation en ligne.

En photo d’illustration de l’article, un repas simple et bon consommé dans une chaîne célèbre de restaurants de viande, qui paradoxalement, malgré son poids, doit faire face en termes d’avis à de gros obstacles par rapport à des enseignes plus jeunes :

  • La « preuve sociale » de l’enseigne qui est bien moins reluisante que les néo-enseignes à la mode. En d’autres termes, il est psychologiquement facile et peux coûteux pour le consommateur de taper sur les doigts d’une enseigne considérée comme « historique », car l’enseigne ne bénéficie pas de l’effet « lune de miel » d’une marque « tendance » et pseudo-innovante, et ce indépendamment de la qualité du produit vendu.
  • Les coûts typiques des grosses structures (hygiène, formation RH, siège, communication…), plus élevées que les enseignes de taille moyenne plus agiles, ce qui a une répercussion sur le prix de vente, et dont le consommateur n’a aucune idée. Ce qui rend ce dernier plus exigeant.
  • Le choix de vendre de la viande à un bon rapport qualité / prix, ce qui coûte d’emblée beaucoup plus cher que des produits à base de céréales de blé, de laitages ou même de légumes de qualité.

Et bien d’autres problèmes que j’aurai peut-être l’occasion d’étayer dans un autre post…

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