Livraison de repas à domicile : vers une polarisation de l’offre ?

Après l’avènement de la livraison de repas à domicile poussée par la crise sanitaire, le marché de la livraison à domicile semble rencontrer certains accrocs du point de vue de certains restaurateurs. La multiplication de l’offre face à une demande pas forcément très mature, le retour des clients en magasin et la crise économique sont des explications possibles de la baisse des volumes.

Si ce marché est en pleine croissance côté consommateurs, se pose la question du morcellement de la demande face à une offre pour le moins saturée.

Petit tour d’horizon historique de ce qu’il s’est passé dans le monde impitoyable de la food depuis début 2019.

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Du savoir-faire local à la marketplace

À l’origine, la livraison de repas était une affaire d’experts. De Domino’s à Planet Sushi en passant par les indépendants, ceux qui faisaient de la livraison depuis une vingtaine d’années s’en étaient fait une spécialité, avec un vrai savoir-faire, de la préparation des plats à la livraison.

En uberisant la livraison, les marketplaces ont fait sauter certaines barrières à l’entrée, mais la livraison restait tout de même un domaine d’initiés. Jusqu’à la crise sanitaire, qui a littéralement poussé la majorité des restaurants à s’inscrire sur les plateformes de livraison, faisant sauter toutes les barrières à l’entrée, et créant un marché sans frontières.

Pis encore, ce ne sont pas uniquement « tous » les restaurants qui se sont inscrits sur ces plateformes, mais aussi les « marques fantômes », c’est-à-dire des marques virtuelles que chaque restaurant pouvait créer afin d’amortir ses matières premières.

Sans parler des « franchises de templates », c’est-à-dire des marques entièrement virtuelles vendues par des franchiseurs auprès des restaurateurs, qui n’ont plus que de l’assemblage à faire, et qui doivent reverser une commission supplémentaire au franchiseur pour tout l’aspect marketing.

Si ces marques virtuelles ont pour objectif de devenir des gros acteurs de la food, pourquoi pas. Mais la plupart auront plus été des « marques jetables », qui plutôt que de créer une émulation, ont cannibalisé un marché déjà peu rentable.

De l’illusion du choix à Pareto

Ce qui devait arriver, arriva : les clients ont eu un choix presque illimité sur ces plateformes, ce qui a entraîné une mise en concurrence extrêmement rude entre les « opérateurs » (entendez, les restaurateurs…).

Ceci nous rappelle les théories schumpetériennes selon lesquelles l’offre s’est adaptée à la demande, mais non seulement elle s’est adaptée en retard, mais de manière beaucoup trop rapide par rapport à la demande. En d’autres termes, il y a trop de restaurants, et surtout trop de restaurant proposant la même offre, pour pas assez de clients.

Du coup, l’homo œconomicus n’a pas forcément cherché midi à 14h pour faire son choix, l’idée étant pour lui de trouver le meilleur rapport qualité / calories / prix / rapidité d’exécution.

Ce nouveau paradigme a profité aux marques les plus solides financièrement pour assurer une quantité suffisante de calories à prix raisonnable, donc souvent malsaines ou tout simplement à perte.

À cela se sont ajoutées les aides gouvernementales, qui n’ont pas manqué de donner de l’EPO aux restaurants, créant ainsi un marché de dupes.

Après la crise sanitaire, et jusqu’à aujourd’hui, il se pourrait que ce soit les gros acteurs qui, à l’instar du modèle de Pareto, aient recruté la majorité des clients, au détriment des petits acteurs, qui continuent néanmoins à générer de petits volumes en guise de bonus et de visibilité.

Au final, la e-delivery n’a fait que reproduire la réalité du marché physique, dans le digital : auparavant, nous faisions la queue au McDonald’s pour commander, et nous mangions bon gré mal gré sur place, un peu debout ou au parc en face de la fac ou du lycée. Aujourd’hui, on commande à domicile, en télé travail, et on envoie une armée de livreurs récupérer notre colis, avec tout ce que ça implique sur le plan social, écologique et urbain.

De la désertion des centres-villes

Avant, pour se payer le luxe de rester chez soi plusieurs jours pour travailler, il fallait avoir et du temps, et des compétences de cuisine. Sinon, on avait la chance d’habiter plus ou moins en centre-ville, et on allait se chercher un sandwich, gober un café et discuter avec le fleuriste du coin.

Aujourd’hui, la démocratisation du télé-travail, et l’accès à la nourriture via les plateformes de livraison – et les dark kitchens – ont eu des conséquences énormes sur le commerce de proximité, et nous assistons de façon darwinienne à des faillites en cascade, notamment dans les quartiers de bureaux où s’étaient installés des commerces de bouche pour nourrir les employés. Pourquoi s’embêter à aller au bureau si on peut travailler et se restaurer de chez soi ?

Sauf qu’entretemps, après avoir « tué » par ricochet le commerce de proximité, la livraison en ligne de repas préparés semble elle aussi faire face à une crise…

L’arroseur arrosé

Comme pour les VTC, les marketplaces ont du revoir leurs tarifs à la hausse une fois bien installées dans les villes et dans les mœurs. Du coup, pour se payer un simple burger frites boisson, nous sommes passés d’un panier moyen il y a 3 ans de 12€, à 19 et parfois même 22€.

En effet, si la plupart des restaurateurs sacrifiaient auparavant leur marge en pensant participer à la ruée vers l’or, ils ont vite revus leurs prix à la hausse, et les marketplaces également, par souci de rentabilité.

Avec la hausse des prix, la crise économique, et la multiplication de l’offre, les clients ne peuvent plus suivre autant qu’avant, et ne peuvent plus commander tout et n’importe quoi tous les jours. Du coup, les volumes côté restaurateurs sont vite redescendus, et la croissance fantasmée n’est pour l’heure qu’un vieux souvenir.

À l’inverse, on a vu bon nombre de clients revenir en magasin, avec l’explosion de ce que j’appelle le foodtertainment , à savoir le fait de transformer un simple restaurant en parc d’attraction. Grâce à Instagram, à l’ère de l’immersif, du « tout visuel » et de la « preuve sociale », beaucoup de concepts capitalisent sur des produits uniques, dans une atmosphère unique, avec un fort pouvoir viral, des NY rolls aux nouilles chinoises en passant par les « pizzas comme en Italie ».

On est ainsi passé d’une cuisine fonctionnelle de bistrot (et plus tard du casual food) à une cuisine récréative, qui utilise à fond les algorithmes tiktok et insta, mais plus trop l’algorithme de Deliveroo et UberEATS.

La gueule de bois

Bon nombre d’acteurs ont donc logiquement quitté les darks kitchens, échaudés par des commissions qui n’ont jamais été revues à la baisse, et des volumes trop peu élevés. D’autres ont revus leurs prix à la hausse, se coupant de beaucoup de clients.

Pour rappel, la marge d’un restaurant est comprise environ entre 20 et 30%, or chaque commande qui part en livraison via une marketplace se voit rogner de 30% par la marketplace. L’augmentation des prix afin de couvrir cette commission n’est pas non plus la panacée, car elle fait baisser les volumes, rend les clients beaucoup plus exigeants, moins fidèles et leur laisse un souvenir moins positif sur l’enseigne commandée. En plus, la commission n’est pas un forfait fixe, elle s’applique également sur la partie augmentée du prix, ce qui n’arrange rien à l’affaire.

Si les restaurant veulent continuer à exister en ligne, je ne vois pas 36 000 solutions.

Vers une offre « de luxe » ?

Il leur faut donc choisir entre deux offres possibles : soit une street-food bas de gamme aux coûts de revient très faibles, mais bien marketée, avec des photos bien léchées, afin de justifier un prix de vente correct permettant de couvrir les frais, et le tout à destination des très jeunes, soit une offre très premium, avec un repas assez qualitatif, réservée à une élite urbaine, prête à débourser fréquemment entre 20 et 30€ par repas.

Le problème, avec la première option, c’est que si vous n’êtes pas « dans la hype », votre prix de vente sera vite considéré comme injustifié. Avec la seconde option, il va falloir s’adresser à des niches qui ont un bon pouvoir d’achat et qui embrassent votre offre parce qu’ils adhèrent à votre philosophie (exemple : plats healthy, sans gluten, protéiné, burgers végans, etc…).

Mais dans les deux cas, il n’y aura pas de place pour tous les acteurs de ce marché très peu rémunérateur. Ce qui me fait dire qu’au final, malgré toute l’agitation autour de la montée en puissance de la street food et de la diversification actuelle de l’offre, il se peut qu’en termes de leaders du marché, on en revienne aux fondamentaux : burger, pizza, sushis.

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